Des vies multiples, Guillaume Chenevière ? Mille vies, en vérité ! Journaliste, PR pour le compte de la firme automobile Chrysler, directeur de théâtre, metteur en scène, acteur, patron de la Télévision suisse romande (RTS), écrivain, essayiste.
Tout le captive, tout l’interroge, rien ne lui est étranger. Du passé qui, rappelle-t-il, éclaire le présent, du théâtre dont il a fait sa maison et sa « vraie vocation. » Le théâtre : le Poche, de Richard Vachoux, le Théâtre Pitoëff et celui de Carouge qu’il contribua à sauver pour en assurer ensuite sa programmation puis sa direction aux côtés de Philippe Mentha, Maurice Aufair, François Rochaix, Georges Wod et Werner Strub, le magicien des masques qui travailla avec Benno Besson, Maurice Béjart, Giorgio Strehler et dont il salue la mémoire. Werner Strub avec qui, en 1982, après avoir mis en scène Brecht, Molière, Strindberg, Eduardo Manet et Tom Stoppard, il crée « Rousseau 82 », « scènes historiques de la vie genevoise sous la Révolution. »
Rousseau-Chenevière ne se quitteront plus ! Le voici, Jean-Jacques, en ouverture de ce Plans-Fixes décoiffant, tourné à Confignon dans la maison de l’enfance de Guillaume. Confignon d’où part le futur philosophe, cap sur Annecy, à l’âge de 15 ans (1728), y retrouver Madame de Warens. Non sans avoir été dûment converti par le curé du village – « sa spécialité » – en échange d’un petit viatique bien utile pour le voyage.
Rousseau toujours, en 2012, dans un livre de 400 pages, « Rousseau, une histoire genevoise » (Ed.Labor&Fides), « chronique éclairante » d’un siècle « représentant à la fois le laboratoire des expériences démocratiques de la modernité et celui du « Contrat social » ou de l’ »Emile ». C’est que « l’importance de Rousseau est totalement méconnue à Genève ».
Guillaume Chenevière, qui promet d’y revenir, confie à Charles Sigel avoir connu une enfance où tout était « rare », où « le bruit de Wagner, c’était la guerre », des jeunes années « noyées dans les livres ». A 13 ans, il a lu « tout Walter Scott et tout Shakespeare ». Suit Karl Marx, la révélation : « Ce que je ne trouvais pas dans la Bible – lui, petit-fils de pasteur -, je l’ai découvert chez Marx, une religion de l’homme extraordinairement séduisante. » Autrement dit : « Quand le monde sera véritablement humain, on ne pourra échanger l’amour que contre l’amour ; la confiance que contre la confiance, le travail ne sera rien d’autre qu’un miroir de ce que chaque personne est. » Et d’ajouter : « Il y a cette formule un peu comique qui m’avait touché : on sera chasseur le matin, pêcheur l’après-midi et critique dramatique le soir. Sans jamais être ni chasseur, ni pêcheur, ni critique dramatique. » Il retient la leçon : « Si on donne le pouvoir à ceux qui n’en ont aucun, aux déshérités, ils construiront d’eux-mêmes un monde juste et humain. Une idée un peu évangélique qui m’a totalement converti.»
Sociologue de formation, acteur – s’il suivit les cours de Greta Prozor, il souligne que « le théâtre s’apprend en regardant » -, Guillaume Chenevière a rencontré dans l’art dramatique « le mystère de la vie ». En 1957, il sort en larmes d’une représentation de Hamlet par François Simon. Le choc : « Je me suis dit que la vie valait vraiment d’être vécue. »
Reste, bien sûr, l’éternelle question : « Comment donner du sens à nos existences dans un monde en pleine révolution numérique ? Comment repérer aujourd’hui ce qui est vrai et acquérir des connaissances ? Tout est fait pour ne rien comprendre, ce à quoi s’attachent les multinationales, les riches et les populistes. » A ce questionnement, il répondra d’une manière forte et engagée à la tête de la Télévision suisse romande (RTS,1992-2001) où il « protège un instrument créatif », co-produit « Les Petites fugues », d’Yves Yersin, « Sauve qui peut (la vie) », de Jean-Luc Godard, « Video 50 » (Bob Wilson). A la journaliste qui le qualifia de « gestionnaire », il répliqua par la réalisation de 13 entretiens de 25 minutes chacun consacrés à Jean Starobinski et Georges Steiner.
« La poésie est une affaire de respiration » dit Martin Rueff dont Guillaume Chenevière interprète, seul en scène, à La Comédie de Genève, en mai 2017, les treize chants composant « Icare crie dans un ciel de craie ». Une soirée à couper le souffle. A l’image de ce Plans-Fixes qui se clôt par la lecture (en anglais et en français) de deux poèmes de la poétesse Emily Dickinson. Un moment de grâce absolue.
Entrée libre